Asie centrale : acte final
Je quitte Bichkek non sans un dernier pain au chocolat et cappuccino pour la route. Mais avec un certain pincement au cœur... J'ai commencé à développer quelques habitudes dans cette ville où j'ai fait plusieurs fois étape. Je partage ce petit déjeuner avec des voyageurs que je connais. Le moment est agréable et j'aurais aimé pouvoir le prolonger. Mais il est temps pour moi de reprendre le cap à l'Est. Je reprends la route pour Naryn toujours à bord de ces fameuses marchroutka. Arrivé à destination je retrouve mon vieux compère. Un mois nous a séparés et déjà la poussière a commencé à le recouvrir et quelques araignées ont trouvé refuge pour y tisser leurs toiles. Je dois lui refaire peau neuve avec quelques réparations. Je reprends ainsi peu à peu le contact avec ce compagnon de longue haleine. Tout se finalisera quand enfin j'enfourcherai ma monture qui vient accueillir mon assise pour je l'espère encore quelques temps. L'envie de pédaler n'est pas présente. La longue pause m'a mis face à d'autres façon de voyager, à d'autres projets et j'ai du mal à me remettre dans le mien. Je me sens étranger à ces enfants qui me saluent sur mon passage alors pourtant si familiarisé à ce genre de situation. La qualité de la route ne m'aide en rien, je quitte rapidement l'asphalte pour une route chaotique et souvent recouvert de tôle ondulée.

Je m'insère dans la vallée de Naryn et laisse derrière moi les montagnes enneigées qui surplombent la ville. Les alentours sont cultivés et l'odeur du foin séché me parvient aux travers des nuages de poussière que soulèvent les voitures sur leur passage. Je suis surpris de croiser plusieurs voyageurs à vélo, la saison bat son plein. Mais je ne parviens pas à me motiver d'avantage. Je m’arrête pour manger, me reposer et laisser la chaleur de l'après midi passer.
A l'entrée de la vallée la route prend de la raideur et l'avancée devient plus difficile. Après quelques kilomètres, une trace quitte la route forestière et je décide de tenter ma chance pour me faufiler à travers la forêt pour trouver un endroit où camper. Arrivé à une clairière le campement est déjà occupé. Félix et son jeune guide, Nurik, me convient à m'installer près d 'eux. Ils font un trek à cheval dans le massif et s’apprêtent à allumer un feu de camp pour la soirée. Nous passons une belle soirée sous les étoiles entourés des ombres des sapins qui cisaillent le ciel.

La vallée que je longe est peuplée de conifères, qui lui donnent un charme authentique. Elle reste cependant bien encaissée et le débit de sa rivière soutenu. Mais petit à petit la vallée s'ouvre et la végétation disparaît. Je fais désormais face à des hautes montagnes à l'herbe rase et jaunit. Des averses passagères ne facilitent pas mon avancée dans l'après midi.
Le lendemain rebelote, je longe la Barkhun par sa rive droite et la route se transforme vite en trace à travers les prairies de hautes altitudes ce qui ralenti aussi mon avancée. Mais je reprends un peu d’énergie et de motivation après une pause déjeuner. Je gagne de l'altitude et le paysage devient plus montagneux, plus apaisant.
J'arrive enfin à un coude où je compte établir mon campement. Un nomade vient à ma rencontre et me propose de m'installer près d'un campement d'été qui s'avère ne même pas être le sien.
Zéfir et son fils Kuba sont ici pour quelques semaines faire paître leurs quelques 120 moutons. Ils finissent leur travail de la journée pendant que je prépare du thé pour tout le monde. Je monte ma tente près de la leur. Alors que Kuba, 15 ans, et agile sur son cheval comme pas deux aide d'autres nomades à ramener leur troupeau, je m'installe avec le patriarche dans leur tente. Il commence à faire du pain tout en me comptant sa vie en russe, derrière son sourire édenté. Je comprends quelques brides. Accompagnées de gestes explicites les conversations peuvent s'avérer souvent assez compréhensibles. Il a quitté Bichkek où il était soudeur après le décès de sa femme quatre ans plus tôt. Il vit maintenant d'une vie simple, la plupart du temps auprès de ses bêtes dans les montagnes. Ses trois autres enfants sont restés a Bichkek dans de la famille proche. Je l'écoute attentif pendant qu'il confectionne des petits pains plats avant de faire cuire l'ensemble à la poêle et dans l'huile, à défaut d'avoir de four. Très vite l'odeur de pain chaud rempli la tente. Kuba nous rejoint pour partager ces pains encore chauds qui constituent notre repas. Il a le regard vif de son père et un sourire malicieux. Ils ont tous deux le goût de la musique qu'ils écoutent à longueur de journée en surveillant leur troupeau. Ils semblent bien instruits à la vue de la collection de livres qui traînent dans un coin de la tente. Je les laisse et rejoins mon campement que je dois déplacer car il est juste dans les fumerolles de leur poêle. Les kirghizes utilisent principalement le Tezek. Morceau de fumier de mouton compacté qui dégage une fumée dense et une odeur acre.
Nous déjeunons le lendemain, pas vraiment aux aurores. Ils sembleraient que Zéfir eut été invité la veille pour rejoindre ses voisins boire quelques lampées de vodka et le réveil est difficile. Après un autre repas de thé et de pain me voilà reparti sur ma bicyclette. Je repars le cœur léger. Ce qui m'anime dans mon voyage ce sont ces rencontres fortuite et désintéressée. Zéfir, fait parti de ces rares personnes dont l'aspect financier de mon voyage n'a pas été abordé. Même en Turquie ou en Iran où j'ai été accueilli à bras ouverts et sans avoir à sortir un centime, il fallait que la question soit posée à un moment ou un autre.

Je remonte tranquillement la vallée. Après une dizaine de kilomètres je passe le col en poussant le vélo, les derniers lacets étant bien trop raide. J'arrive sur un plateau. Quelques lacs bordent mon chemin. Mais je ne m'attarde pas, le vent étant bien froid à ce point culminant de la journée: 3830m. J'arrive à la route principale qui me permet de rejoindre Barskoon. La route est lisse et pourtant non goudronnée. Pour cause une mine d'or à proximité qui génère un trafic régulier de camions et d'engin. Je croiserai quelques convois sur mon chemin. Malgré le froid pinçant la descente est grisante, je perds plus de 2000m d'altitude pour rejoindre le lac d'Issyk-Kul. Je croise un nombre important de kirghizes en vacances. Il est assez facile de reconnaître ceux qui viennent des villes en villégiature par rapport aux locaux. Je décide de rester près du lac pour un dernier bivouac avant de cheminer vers Karakol.

Karakol est une ville touristique. De là partent quelques fameux treks à faire au Kirghizistan et la masse de touristes est condensée dans cette petite ville. Inutile de préciser que ce n'est pas ce dont je raffole. Mais j'ai besoin d'un jour de repos.
Je retrouve Ben, un paraplégique hongrois qui voyage en auto stop à travers le monde et dont les récits sont inspirants, Guillaume, un cyclo suisse rencontré à Almaty sur le chemin vers son pays natal, et puis Juliette que je connais de mes études en Belgique, qui est en vacances avec sa sœur Elisa et le hasard a fait que nous nous retrouvons ici.
Je repars direction le Kazakhstan. Après quelques kilomètres sur une route goudronnées je retrouve un piste chaotique. Je chemine à travers les cultures, passe un col puis atteins des collines verdoyantes où l'on ramasse le foin. La région semble propice à la fauche et je croise d'énormes camions surchargés de bottes qui serviront probablement à nourrir cet hiver une partie du bétail que j'ai pu voir à travers le pays. Les odeurs de foin séché m'accompagneront jusque la frontière. Le poste de frontière est tout ce qu'il y a de plus simple. J'y croise Marlène et Vincent, eux aussi à vélo, en direction pour la France. Nous échangeons quelques tuyaux sur nos routes respectives. L'officier kirghize est peu aimable mais nous arrivons à lui soutirer un peu d'eau. Du coté kazakh, l'ensemble des jeunes militaires sont avenants et me gratifient tous d'un "welcome to Kazakstan".

Je continue sur une route en travaux pendant une dizaine de kilomètres avant d'atteindre une rivière près de laquelle je compte bivouaquer. J'hésite à monter la tente tant le ciel dégagé m'invite à dormir à la belle étoile, mais les moustiques me feront préférer un abris. Dans la nuit je suis réveillé par une pluie soudaine tout autant qu’inattendue.
La pluie ne se calmera vraiment que le soir venu après une journée à pédaler sous des trombes d'eau qui me fouettent le visage avec le vent fort qui s'invite de la partie. Après une longue descente crispée sur mes freins j'atteins un grande plaine. Je suis trempé et une dernière averse qui finira le travail entamé dans la journée au moment de monter ma tente. Je me suis résigné à aller au célèbre Sharyn canyon non loin, la pluie m'ayant découragé du détour. Mais j'ai trouvé un autre canyon et l'éclaircie qui finalement arrive en fin de journée me permet de profiter du paysage.

Je prends le temps le matin pour faire sécher toute mes affaires .En quittant mon campement je lance un dernier regard derrière moi aux montagnes qui s'éloignent. Je quitte les prémices de la chaîne himalayenne. Je retrouve ainsi les steppes plates et immenses du Kazakhstan et avec elles l'odeur de l'armoise qui s'en échappe. Une fois de plus j'attendrai la fin d'après midi pour reprendre la route la chaleur étant difficilement supportable. Mais le vent a forci et me chasse sur le coté, je peine à garder mon vélo en équilibre. Les locaux n'hésitent pas à me saluer sur leur passage, je retrouve dans cette région une certaine sympathie pour les voyageurs. Parfois, certains attendent le dernier moment pour me lancer un coup de klaxon, de quoi me faire bondir sur ma selle et me crisper sur mon guidon. Une nouvelle journée qui se termine une fois de plus près d'une rivière dont les abords d'herbe courte m'invitent pour la nuit. C'est une de mes dernières soirées en Asie centrale et je profite de la soirée après un bain dans le cours d'eau. Rapidement les ombres émanent du sol s'étire pour marque la fin de la journée. Une fine lune sort de l'horizon une fois le soleil couché.
Le lendemain de jeunes kazakhs s'arrêtent à ma hauteur pour me demander un selfie. Je prends la pause en échange d'eau pour ma journée. J'atteins rapidement la route principale qui me mènera en Chine. C'est une belle autoroute assez déserte, je ne suis pas embêté par la circulation et je roule paisiblement jusque Zharkent où je fais étape. Je profite d'un jour de repos (plus pour remettre d'une gueule de bois que de mes exploits sportifs) chez Ilyas et Asset qui m’accueillent dans un appartement de fonction qu'il occupent lorsqu'ils sont de passage. Ils sont tous deux associés dans une boîte qui gère de l'import-export en Asie centrale, qui reste un carrefour commercial conséquent. Ils sont passionnés d'histoire et me content l'histoire de leur pays et de leurs racines.
La frontière avec l'empire du milieu n'est désormais qu'à quelques kilomètres et elle marquera la fin de mon périple en Asie centrale. une page se tourne et une nouvelle s’apprête à être écrite.

Une autoroute pour moi tout seul me permet de rendre plus agréable ces portions un peu fastidieuses.