Horas!
Je quitte mes amis de Singapour et me replonge dans le trafic de la cité-état. J'atteins la côte pour trouver l’embarcadère, non sans mal. On me fait passer d'un bureau à l'autre pour savoir quoi faire de mon vélo. Je suis finalement autorisé à l'embarquer après un contrôle digne d'un aéroport. Je découvrirai plus tard que l'officier a même réduit la pression de mes pneus... pour prendre le bateau! Je passe les contrôles migratoires avec aisance, étant exempt de tampons de sortie. Nous partons avec près de dix minutes d'avance, du jamais vu en Asie de sud est! La traversée dure une heure et demi pour me rendre à Batam, première île de l'archipel indonésienne (qui en compte plus de dix sept mille) où je pose le pied.
Je replonge tout de suite dans la frénésie de l'Asie dont Singapour fait relativement exception. La cohue des scooters qui passent, repassent et dépassent dans tous les sens. Mais je retrouve aussi un autre aspect, le sourire jovial et diverses salutations que m'offrent les locaux à mon passage.
Je rejoins Riky dans un co-working space. On est dimanche mais il s'est réuni avec une communauté de sourds avec qui il donne des cours de langages des signes à ceux qui le souhaitent. J'assiste un moment au cours très ludique, avant que mon hôte ne doivent se rendre à un autre rendez vous. Ainsi, il me laisse seul avec le groupe de sourds... qui ne comprennent pas l'anglais. Immersion totale donc et cours particulier (chaque pays a sa propre langue de signes) avec l'aide d'une application de traduction écrite tout de même. Nous partons ensuite au marché local pour dîner. L'intégration est encore très compliquée pour cette communauté et le regard des autres est particulièrement pesant (pour moi encore plus que d'habitude). Riky est aussi très actif au sein de leur communauté, pour militer contre la discrimination et pour leur intégration. Je le surprendrai même à reprendre un des sourds à ne pas appeler « les gens normaux » mais « les entendants »... l'éducation se fait dans les deux sens.
Je retrouve ensuite Harun. Je l'ai rencontré en Mongolie au détour d'une station service où je refaisais le plein... de vivres. Lui en déplacement professionnel, profitait de quelques jours de villégiature. En échangeant deux mots il m'avait convié en Indonésie si mon chemin m'y menait... et m'y voilà. Harun met un point d'honneur à me fournir ce dont j'ai besoin et sans que j'ai besoin de sortir mon portefeuille. Carte sim locale, billet pour le ferry qui doit me mener au nord de l’île de Sumatra... Malheureusement le bateau que je visais et déjà complet. Je dois attendre le prochain deux jours plus tard et passe donc quelques jours supplémentaires à Batam... qui n'a absolument rien à offrir. Quatre jours plus tard me voilà prêt à embarquer et me dirige vers le quai à l'autre bout de la ville. On m'annonce que le ferry prévu de partir à 16h n'arrivera à quai qu'aux alentours de dix-sept heure. Retour à la réalité asiatique. Je patiente donc au milieu des cartons, paquets et familles sous un soleil de plomb.
A 17h30 le navire est prêt, l'embarquement peut commencer. Je me laisse entraîner par un porteur qui m'aide à passer les contrôles moyennant un petit billet. Je dois ensuite longer le quai le long des nombreux conteneurs, Batam étant une ville de commerce tout comme Singapour. J'avais été particulièrement surpris en découvrant dans une station de métro de la cité-état un mur illustré de dessins de bateaux d'enfants d'une école locale. La plupart des dessins représentaient des porte conteneurs... symbole du paysage local.
Je trouve un recoin dans un couloir où glisser mon vélo pour la traversée d'environ vingt quatre heures, en classe économique cela va de soit. La classe économique... comment dire? Pas de cabine, c'est un open space comportant une succession de lits superposés et juxtaposés. Quelques toilettes malodorantes (déjà !) se profilent ça et là. J'erre un moment pour trouver mon lit, j'ai heureusement un numéro attribué. J'avance en me demandant sur quel type de voisins je vais tomber... Et me voilà coincé entre plusieurs familles avec enfants en bas âges... jackpot! Mon lit est (déjà) recouvert de jeux, de bagages en tout genre et je tente de me faire une petite place parmi les enfants qui braillent (déjà !). Mais la traversée se passe globalement sans encombre et je me fait naturellement rapidement des connaissances, qui m'interpellent dans leur anglais hésitant. Le « Bule » ne passe pas inaperçu (prononcer boulet). Bule est un terme attribué aux touristes étrangers, blanc uniquement et sonnera avec une certaine ironie tout au long de mon séjour.
Nous débarquons le lendemain en fin d'après midi. Naturellement tout le monde pousse ce qui a pour résultat d'encore plus bloquer la circulation. Un ancien se sert de mon porte bagages arrière pour transporter un carton lourd, mais m'aide à retenir mon vélo dans les descentes d'escaliers. Échanges de bons procédés.
Je sors du débarcadère dans une cohue infernale de klaxons et de bruits de pots d'échappements. Je me fraie un chemin jusque la route qui me mène à Medan, capitale de la province du Nord de l’île de Sumatra, située à une vingtaine de kilomètres du port. Je retrouve la vie énergisante des bords de route d'Asie dans la lumière chaude de fin de journée. Les marchands ici ou là, les enfants qui tirent des cerf volants...
J'arrive en ville où j'avais repéré une auberge, certes coquette mais qui s'avère située juste à coté de la mosquée... Réveil matinal assuré par le muezzin en personne, je pars dès l'aube. Ce sera mon sort durant la plupart de mon séjour en Indonésie. Au contraire de mon souvenir de la Turquie où presque seule la mosquée principale appelle à la prière dans une mélopée mélodieuse, en Indonésie ce sont toutes les mosquées à l'exception de celle du vendredi qui scandent les azans dans une cacophonie criarde parfois difficilement supportable.
La traversée de la ville se fait aisément et me voilà en route en direction du lac Toba. Mais aujourd'hui est dimanche... et la plupart des citadins en profite pour se rendre dans les montagnes profiter de la fraîcheur. La circulation est... indescriptible. Les voitures sont à la chaîne jouant de l’accélérateur pour gratter une place chère à leurs yeux. On n'hésite pas à doubler dans les virages, on klaxonne, on se rabat, sur moi bien souvent. Je vis un véritable cauchemar dans une circulation que j'ai rarement expérimenté, c'est dire ! Je ne donne pas cher d'un bâton que j'ai positionné en travers pour essayer de garder à distance les véhicules. Il survivra finalement à mon ascension, moi aussi. Outre la circulation j'ai dans les 1600 m de dénivelé à faire dans la journée, pas non plus l'idéal pour une reprise. J’asphyxie dans le doux fumet des moteurs qui vrombissent alors que mes oreilles commencent à siffler des camions qui barrissent. Quelques chauffeurs me saluent et m'encouragent sur le passage, mais difficile de les remercier dans ces conditions. J'avais ce même problème en Malaisie, où il est difficile de se montrer poli et souriant aux personnes amicales au milieu de toutes celles irrespectueuses voire dangereuses qui me notifient à leur manière que ma présence sur la route les importune.
J'arrive à Berastagi exténué et étourdi pour les bruits emmagasinés dans la journée. Fahri est mon hôte. Il a la bonne idée de m'offrir un tour dans les sources d'eau chaude qui jaillissent du volcan qui surplombe le village. Habitué du coin, nous évitons l'entrée principale, nous affranchissant de payer les 0,30€ d'entrée. Après s'être prélassés un moment nous dînons avec sa famille avant que je ne sombre dans un sommeil de plomb.
Au réveil je ne suis bon à rien, fourbu de ma journée de la veille, courbaturé, je reporte au lendemain l'ascension du volcan. Fahri habite dans un petit village plein de charme qui vit principalement de l'agriculture. L'endroit est paisible et agréable, entouré de champs et de canaux. La famille a une plantation de tomates que Fahri et sa mère gèrent. Le père travaillant à l'usine... Danone! Non sans une certaine fierté.

Je suis réveillé dans la nuit et décide de me lancer dans l'ascension du volcan pour le lever de soleil. A pas feutré je quitte le domaine familial. Une voiture passe et je tente ma chance pour de l'auto stop (pas très courant en Indonésie). Le véhicule me dépasse et je réalise que c'est un bus local qui n'a juste pas daigné s’arrêter pour moi : certainement qu'un « bule » au milieu de nul part à 4h du matin n'est pas vraiment de bonne augure. Je poursuis donc à pied comme envisagé sur une petite route sans circulation. On n'oublie pas de me faire acquitter le droit d'entée. En fait je réalise qu'en se rendant en voiture, la route se termine très proche du cratère et fait du volcan Sibayak, une randonnée très prisée. Des restaurants bordent la route, des guides attendent et des déchets jonchent le sol un peu partout. Mais je retrouve rapidement la noirceur de la nuit sans lune et m'enfonce dans la forêt via un sentier aménagé. Aux abords du cratère je retrouve des « randonneurs », principalement des jeunes en classe verte qui ont passé la nuit sous tente non loin. Pas habillés, pas chaussés, la clope au bec, téléphone à la main pour se mitrailler de photos, les ados de douze à quatorze ans donnent la parfaite image de ceux que je croise régulièrement. Près du sommet des jets de vapeurs font un bruit assourdissant.

Le Sybayak est un volcan sulfureux au sens propre et au figuré. Une odeur d’œuf pourri s'échappe un peu partout dans des jets sous pression et il n'oublie pas de rappeler de temps en temps qu'il n'est pas tout à fait endormi.
Pas de levé de soleil pour moi car trop de nuages. Je prends rapidement le chemin de la descente, un ancien chemin qui n'est plus utilisé et me conduit dans la jungle m'obligeant à me battre avec la végétation un moment.
Je suis de retour alors que Fahri est encore endormi. Nous prenons un petit déjeuner tardif avant que je ne plie bagage. La circulation est encore dense mais je me fais au trafic toujours assez dangereux. Parallèlement les locaux me saluent ou plutôt m'apostrophe ce qui a malheureusement pour effet de rapidement me lasser. Je déjeune sur la route. Après mon repas on m'interpelle encore :« I love you mister! ». Décidément le monde est plus agréable le ventre plein. J'arrive à la cascade Sipisopiso qui borde une grande étendue d'eau. Le lac Toba est le résultat d'une très importante éruption volcanique, il y a quelques soixante quatorze mille ans, si bien qu'elle aurait provoqué un changement climatique mondial et des cendres auraient été retrouvées jusqu'en Afrique. En a résulté un gigantesque cratère qui forme désormais le plus grand lac volcanique au monde.
Je m'offre une deuxième petite randonnée de la journée pour atteindre le pied de la cascade. Je passe la nuit sur une aire de pique nique que le soir vide de ses touristes, locaux pour la plupart.
Je longe le lac sur une cinquantaine de kilomètres. Les courbatures sont toujours présentes (si pas plus importantes avec mes efforts de la veille) et rendent la progression difficile. La circulation se raréfie ce qui est agréable. La région est très cultivée et les diverses cultures se succèdent mais ce sont principalement des cultures d'oranges qui dominent sur les collines, conférant un caractère presque sicilien.
Mais malheureusement je continue de faire fasse aux locaux qui m'interpellent à longueur de journée. Cela peut paraître normal, appréciable... ça l'est! Pour le début de journée... Mais c'est plus de cent, voire deux cent fois dans la journée. Cela n'a rien à voir avec les « hello » souriants de Thaïlande ou les « Sabaïdee » chantonnant des enfants au Laos. C'est certes de bonne intention, mais souvent scandé sèchement à mon oreille accompagné d'un klaxon ce qui commence à légèrement user mon mental.
Je m'offre une joli descente pour atteindre les rives du lac. Les abords sont très abrupts sur plusieurs centaines de mètres de dénivelé tout autour du lac. Je ne suis pas dupe, il va falloir les remonter à un moment ou un autre. J'arrive pile à temps pour le ferry qui fait la traversée pour l'île de Samosir, résultat de l'ancien volcan effondré. L'île centrale a un périmètre de plus de cent vingt kilomètres pour donner un ordre de grandeur.
L’île de Samosir m'accueille tout en douceur. Alors que je cherche mon chemin sur mon GPS, une vieille femme penche la tête par dessus mon épaule sur mon smartphone. Amusé, je lui demande si le chemin que j'envisage est le bon, et elle de me renvoyer un sourire édenté. Je me mets en route dans les effluves des clous de girofles qui sèchent sur le bord de la route. La route est assez directe et facile. L'ethnie locale est les Bataks. Présents sur l'île et dans la région bien avant la colonisation Européenne, ils gardent leur culture propre qui a évolué cependant, notamment avec la conversion religieuse. La majorité est chrétienne protestante et partout ont fleuri des églises modestes et colorées, parmi les habitations traditionnelles avec leur toit pointus.
J'arrive à Tuktuk en fin de journée. Le village est un point touristique et construit d'hôtels et de restaurants pour les touristes principalement occidentaux. Mais l'auberge où je réside est très sympathique et nous propose un show de danse et de musique traditionnelle le soir même. Les protagonistes nous invitent à prendre part aux danses à coup de "Horas!": salutations en langage batak. Rien de tel que pour lier d'amitié avec des voyageurs solitaires comme moi. Je n’insisterais jamais assez sur la facilité de créer des liens avec d'autres (voyageurs ou locaux) lorsque l'on voyage solo. Préférant partager ces moments entre eux, les couples ou groupes de voyageurs ne cherchent pas forcément le contact d'autrui (ce qui est tout à fait louable). Ils créent ainsi des expériences, des souvenirs qui renforcent leur intimité et leur complicité. Le partage de l'expérience étant un facteur démultipliant son intensité, le voyageur solitaire n'hésite pas à se tourner vers d'autres pour cela, le temps d'une soirée ou de quelques jours, mais qui n'en resteront pas moins inoubliables et intenses bien que scellés dans une amitié éphémère. Nous formons rapidement un groupe de compères complices sous l’œil maternelle (pas vraiment maternant, à moins que payer des tournées peut être considéré comme tel) de Sarah, notre maman à tous pour ces quelques jours.

Après quelques jours de repos et de baignades dans le lac, je repars pour retrouver « le continent » par l'ouest ou un pont de terre permet le jonction.
Mais une fois atteint, je réalise que la route me mène immédiatement loin du lac (non je n'ai pas beaucoup préparé mon itinéraire durant ma pause) et je décide de rester le long des bords du lac pour profiter une journée de plus de ses vues. Les bords sont toujours abrupts, ma journée se transformera en deux jours et demi intenses. J’enchaîne des montées et descentes escarpées et parfois sur une route qui se transforme en chemin (j'ai quitté l'asphalte depuis ma bifurcation).
Chaque ascension m'offre des points de vue imprenable sur le lac, et entre chacune d'elle je traverse un village, reculé, qui vit de sa culture de riz et de pêche principalement. Je fais beaucoup effet sur cette route fort peu empruntée, encore moins par des touristes, encore moins par les étrangers, encore moins à vélo.
Les paysages que me dévoile ce parcours compensent allègrement la difficulté qu'il m'impose. Les rizières en terrasses offrent une atmosphère reposante ainsi qu'une sérénité imposante.
Mais... pas facile de trouver un endroit pour camper à cause des cultures. Je fini par trouver un coin plat au recoin d'une chapelle. Après m'être lavé dans le lac, je suis rejoint par un habitant du village qui observe mes moindres faits et gestes dans une complicité entendue. Il fait parti de ces rares énergumènes dont le langage corporel et les mots simples employés permettent une conversation basique. Une fois mon campement monté, mon repas avalé, mon couchage préparé sous son regard amusé, il me quitte pour rejoindre sa famille, n'omettant d'allumer les lumières de la chapelle, me baignant dans une lumière artificielle pour la nuit... ou peut être spirituelle.

Nouvelle journée au travers d'un chemin pratiquement pas emprunté. J'y croise deux scooters alors que je passe mon temps à pousser mon vélo, même parfois à la descente quand elle est trop escarpée. Je remet ça encore une fois le même jour, avec moins de dénivelé cette fois, mais sous un soleil de plomb. Dans la montée quelques enfants se joignent à mon labeur en poussant mon vélo quelques centaines de mètres après avoir rempli mes bidons d'eau.
Je déjeune dans un petit restaurant en bord de route près d'une cascade qui offre un peu de fraîcheur. Impossible de trouver un endroit où camper la nuit, je fais quelques aller retours sur la route. Je fini par être interpellé par un prof d'anglais de l'école, synonyme en général de passeport. C'est le plus naturellement qu'il m'invite chez lui et propose une de leur deux chambres alors qu'il partagera l'autre avec sa femme et ses 5 filles. Chez les bataks il faut un garçon dans la famille et je comprends que la famille s’agrandira tant que l'heureux événement ne sera pas arriver. Au matin nous partageons un café au village, mon hôte joue les interprète face aux questions des ses amis. Puis nous visitons le palais résidentiel du dernier roi Batak, Si Singamangaraja XII, dont la mort a laissé son son peuple au contrôle des colons hollandais.
Il me faut de nouveau remonter les bords du lac pour retrouver la route principale et l'asphalte.Le paysage défile alors que je dévale le relief qui descend légèrement et rend la progression aisée. Je me sent léger après avoir bien galérer ces derniers jours, mais aussi joyeux de l'expérience extraordinaire de ces derniers jours. J'arrive dans une magnifique plaine de rizières. L'endroit est idéal pour y passer la nuit, mais assez habité et cultivé. Je lutte à trouver un endroit où planter la tente et me bute à des villageois curieux mais peu disposé à m'aider. Je trouve finalement un endroit reculé. Dans le début de la nuit je suis dérangé par des jeunes qui semblent chasser. Ils viennent à ma rencontre, ou plutôt ils me sortent du lit. L'un d'eux parle un peu anglais et je peux échanger quelques mots.
Ils commencent à s'installer autours de mon campement et entament des jeux de pari et d'argent. Je leur demande leur intention et ils me rétorquent qu'ils comptent rester quelques heures pour pas que je ne me sente seul et s'assurer que tout aille bien pour moi. Il m'incite à retourner aller dormir si je le souhaite. Je les rassure et les prie gentiment de débarrasser le plancher ce qui sera la meilleure solution pour que je me repose. Naturellement à mon réveil j'ai le droit a un nouveau comité d'accueil. Je suis convié au village pour prendre le petit déjeuner et rapidement toute une foule m'entoure. Joe continue de jouer les interprète avec son anglais balbutiant.
Je poursuis ma route et enchaîne les montées et descentes au sons des « hello mister » qui continuent de m'accompagner sur mon trajet.

Arrivée à Padang Sidempuan, je passe la nuit chez Walia. Contactée via le réseaux social Couchsurfing, elle m'avait proposé de m'héberger, ce qui s'annonce pas si facile face à ses parents conservateurs. Elle me propose de dormir dans un restaurant situé non loin du bord de la route et de son vacarme ahurissant. Les indonésiens ne semblent pas être beaucoup préoccupés du bruit et semblent s'en accommoder. Les téléviseurs ont toujours le son à fond, les portables diffusent des vidéos, la circulation est toujours soutenue, sans oublier les longs appels à la prière cinq fois par jour. Il n'est pas facile de se mettre au repos l'appareil auditif. Je négocie un moment avec mon hôte qui peine à me trouver un endroit où passer la nuit. Les rapports entre personnes de sexes opposés ne sont pas si facile dans ces pays musulmans. Finalement Walia fini par me trouver une chambre (gratuite) dans un équivalent de foyer de jeunes travailleurs. La télé du salon reste cependant allumée à fond une bonne partie de la nuit.
Malgré la fatigue je progresse facilement le lendemain et arrive à destination plus rapidement que prévu. J'étais en contact avec Budi, un prof d'anglais qui habite à 130 kilomètres. Sachant que je ne pouvais réaliser cette distance dans la journée (et surtout pas l'envie), nous avons convenu que je dormirai près de l'école où il enseigne. Les étudiants résident dans des sortes de petits bungalows en bois et m'en ont mis un à disposition pour la nuit. Ils viennent souvent de loin pour étudier l'anglais dans cette école. Leur accueil est sincère et enthousiaste. Les questions fusent de partout et je me prends au jeu. Le soir ils me conduisent à moto à des sources d'eau chaudes à quelques kilomètres. Les sources servent aussi de bains, littéralement... et je dois la jouer fine pour essayer de me retrouver le plus amont possible et éviter de patauger avec ceux qui en profitent pour se laver les dents et crachent à même la rivière.

Je reprends la route le lendemain et passe la barre symbolique des vingt mille kilomètres sur mon compteur.

La route se faufile dans une vallée bordée de rizière. La circulation est acceptable et malgré la montée il est agréable de progresser. Puis une belle descente me mène à une plaine. J'arrive près d'une ville où j'avais prévu de passer la nuit. Mais la zone est plus habitée que je ne le pensais et il m'est impossible de planter la tente. La nuit commence à pointer et aucune possibilité ne s'offre à moi. Je tente ma chance dans deux mosquée, les gens sont près à m'aider et m'accueillir... jusqu'au moment où il découvre que je ne suis pas musulman. Si je ne peux leur reprocher le fait de ne pas m'accueillir, je déplore pourtant la sélection qui s'opère en fonction du culte. Je retente ma chance dans une église cette fois, où l'on me laisse m'installer pour la nuit dans une pièce juxtaposée. Un point pour les chrétiens. A ma grande surprise, la femme qui pourtant parle un peu anglais ne me bombarde pas de question et me laisse tranquille. Je savoure une nuit seul comme cela fait longtemps que cela ne m'est arrivé.
Après quelques kilomètres de légère ascension je profite d'une autre longue descente. Qu'on ne s'y méprenne pas, je n'ai qu'un plaisir partagé dans ces descentes. La ville où je me rends se situe en altitude et je sais pertinemment que tout ce que je descends je vais devoir le remonter.
Au bout de la descente se trouve un autre passage crucial de mon épopée, celui de la ligne de l'équateur. Elle est marquée par un monument délabré. Après quelques clichés je m'arrête boire un café, équatorial à défaut d'être équatorien. La tenancière me propose un martabak. J'ai découvert le martabak à Batam et je n'ai pas eu l'occasion d'en manger de nouveau. Le martabak est une sorte de crêpe épaisse de plus d'un centimètre. Mais la pâte ressemble à la texture d'un baba au rhum. Sauf qu'à la place du rhum c'est du beurre fondu... littéralement. Le martabak suinte le gras. La dessus est étalée les ingrédients de son choix et il faut faire attention aux associations douteuses (pour les occidentaux) des indonésiens : chocolat/fromage ou maïs/fromage/banane. Pour moi c'est une généreuse couche de chocolat fondu, de cacahuète pilées et de lait concentré... une bouchée serait fatale pour un diabétique. Rien de mieux pour célébrer mon passage dans l'autre hémisphère et de me retrouver la tête à l'envers.

Je poursuis ma route dans la chaleur et arrive à une belle et longue montée. Je peine à avancer et fini par abandonner mon objectif d'être en ville le soir même. Même la courte sieste et le dîner à 17h ne parviennent pas à me donner assez d’énergie. Je campe en contrebas de la route près d'une rivière. Je termine la vingtaine de kilomètres pour arriver à Bukitingi, situé sur un haut plateau karstique. Ici c'est Aldi qui m'accueille. Jeune étudiant, il vit dans un village près de la ville au milieu des rizières que l'on peut admirer depuis le toit de sa maison. Le coin est idyllique... même si la maison est accolée à la mosquée bien entendu.
Aldi fait parti d'un groupe d'amis très actifs dans l'accueil des voyageurs. Je suis immédiatement dans le bain pour assister à la célébration traditionnelle d'un mariage Minang, l'ethnie locale. Nous assistons aux échanges des vœux puis au repas servi généralement avec la famille proche, avant que je ne sombre rapidement à cause de la fatigue accumulée ces derniers jours.
La célébration continue le jour suivant et nous sommes encore conviés. Notre petit groupe quitte le mariage pour aller arpenter les rizières dans la lumière de fin de journée.
J'aurais aussi l'occasion d'assister à la célébration de l'élection d'un chef de clan de la ville. Nous partageons un repas commun où tout le monde mangent par groupe (hommes et femmes séparés) dans le même plat le bœuf tué pour l'occasion. Puis quelques représentations de danses et de musiques traditionnelles.
Pour mon dernier jour sur place nous nous rendons au lac Manijau, situé non loin. Encore un lac en profondeur des terres que je suis content de visiter en scooter cette fois.
Avant mon départ Aldi me conduit chez son oncle victime d'un accident de scooter, fréquents en Asie. Il a été pris entre deux véhicules. Les fractures aux deux jambes sont multiples, pas toutes correctement ossifiées malgré les deux ans qui séparent de l'accident et les raideurs multiples. Je tente tant bien que mal de lui fournir quelques exercices lui permettant de récupérer ce qui peut l'être et tenter de se tenir debout.
Je quitte ensuite cette famille adorable qui m'a reçu, comme souvent, comme leur propre fils, me nourrissant copieusement. Aldi est mature et ouvert la culture occidentale légèrement « Haram », impur au regard de la religion musulmane. Et si la grand mère demande ce que diable je fais chez eux au début de mon séjour, j'apprendrais qu'elle s'enquerra de mes nouvelles dans le futur. Je repars le cœur léger de ces moments partagés et lourd à la fois de quitter cette famille.

J'entame une belle et longue descente vers Padang qui se situe sur la côte ouest de l’île. Plus de mille mètres de dénivelés négatifs dans la journée, un régal. Je passe une première nuit chez Wahyu, qui m'a invité notamment car je suis kiné et lui hémiplégique suite à un accident de moto. Je n'ai pas réussi à savoir s'il portait un casque car il est particulièrement bien amoché.Il tente de récolter des fonds pour une cranioplastie. Puis c'est Alfano qui m'accueille. Il travaille dans un hôtel quatre étoiles et réussi à m'obtenir une chambre dans l'établissement. Portier, service en chambre, piscine en rooftop... bref un traitement comme je n'en ai jamais eu dans ce voyage. Il réussi à prendre deux jours pour me faire visiter les environs, notamment des cascades.
Padang offre aussi un joli centre ville qui a gardé son charme traditionnel malgré l’extension de la ville. Aussi, la mosquée principale construite récemment respectant l'architecture minang est l'une des plus impressionnante que j'ai pu visité. La côte est particulièrement agréable et réputée mondialement pour ses spots de surf. J'ai aussi l'occasion de rencontrer un couple de kinés travaillant dans un cabinet en ville.
Je reprends la route reposé. Je décide de quitter la route principale pour longer la côte. Une nouvelle route qui s'annonce spectaculaire. Le bitume est récent, sans imperfection, je me lance dans un paysage idyllique de rizières, cocotiers et plages à pertes de vue. Mais mon GPS est formel, cette beauté a un prix. Le géomètre n'étant clairement pas cycliste, la route trace droit à travers le relief côtier. Je met le pied à terre régulièrement tant la route est raide et je peine même parfois à pousser mon lourd vélo. Je progresse difficilement mais le décor reste spectaculaire offrant des enchaînements de baies paradisiaques.
Je passe la nuit dans une école d'anglais où je suis accueilli avec tous les honneurs en échange d'un peu de mon temps avec les élèves, normalement en vacances. Nous dégustons le soir un lotek, une spécialité indonésienne à base de gâteau de riz et de légumes, recouvert d'une généreuse couche de sauce à la cacahuète. Le propriétaire joue cependant sur la communication et je suis harassé de photos, et prié de laisser des commentaires (positifs ça va de soit), ce qui enlèvent un peu de charme à notre rencontre.
Un peu cassé de la journée de la veille, je passe une journée tranquille à profiter des paysages. Je reprends un peu le rythme que j'avais en Thaïlande, départ matinal, déjeuner tardif pour me reposer pendant les heures chaudes et reprendre la route pour une ou deux maximum jusqu'à trouver un endroit où passer la nuit.
La circulation est relativement calme depuis Padang. Mais la route s'éloigne désormais de la côte et perd de son intérêt. Je retrouve les plantations de palmiers qui s'étendent à l'infini. J'en profite pour brancher un livre audio, mon dans les endroits monotone. Car le livre à l'avantage (ou l'inconvénient) de me déconnecter de la réalité environnant. Je me souviens au Laos quelle ne fut ma surprise en voyant arriver des enfants d'un village venus me saluer alors que j'étais plongé dans la première guerre mondiale au travers du roman de Pierre Lemaître « au revoir là haut ». Je réserve donc la « lecture » pour les portions peu intéressantes. Aujourd'hui mon livre a aussi l'avantage de me couper un peu des interjections qui continuent de fuser sur la route, au risque de paraître impoli. Le GPS m'induit en erreur à un pont détruit et je dois rebrousser chemin sous un temps menaçant. Le soir j'opte pour une nuit dans une auberge alors qu'une pluie diluvienne s'abat sur la région.
Je retrouve la côte dans la matinée. Je longe un aéroport décrépi mais toujours en activité, le terminal, se résumant à une maisonnette, donne une allure atypique. Je trouve un restaurant pour déjeuner. Le personnel ne fait pas beaucoup d'effort pour essayer de me comprendre et je me retrouve avec deux plats (que je termine naturellement). Le vent s'est levé durant mon repas gargantuesque et l'orage a tôt fait de me surprendre. Je trouve à camper non loin d'une échoppe. Accueil chaleureux de la propriétaire, mais c'est le repère des jeunes du coin pour « traîner », alors difficile de trouver calme et repos dans les aller et venus des scooters jusque tard dans la nuit. Je passe encore deux jours sur la route a longer des habitations. Il est fascinant de voir comment ce serpent d'asphalte apporte la vie, sans qu'on ose trop s'en éloigner. Il suffit de jeter un œil sur les images satellites pour confirmer que la route est bordées de maison sur presque tout son long. Je passe une nouvelle nuit dans une école d'anglais (ils semblent s'être passé le mot) et une au bord de d'une plage un peu isolée.
J'arrive enfin à Bengkulu. Rendra et sa femme m'accueillent dans leur maison. Leur petite fille est adorable et spontanée, la barrière de la langue ne semble pas être un problème pour me sousmettre les monologues dont seuls les enfants ont le secret. Rendra est surfeur et je me joins à sa troupe d'amis dans les vagues, tentant de faire ce que je peux avec mon petit niveau. Lorsqu'il est au travail je profite de visiter la ville et son ancien fort britannique.
Une nouvelle longue journée dans l'arrière pays se profile avant de retrouver la côte où je campe. Encore une fois les jeunes du coin m'aperçoive et me rejoignent, m'aident à installer ma tente tout en se mitraillant de selfies. Il me proposent leur compagnie, que je refuse poliment sous prétexte de me reposer. Ils me laissent donc non sans crainte pour moi. Je dois continuellement rassurer les locaux sur le fait que camper n'est pas dangereux.... Nous échangeons tout de même quelques rasades de tuak, l'alcool de palme. Il faut dire que je fête mes 2 ans de voyages ce jour-ci. Deux ans passés sur un vélo à parcourir le monde, délaissant derrière moi une vie stable et confortable. Mais je ne peux dire Ô combien je ne regrette cette décision.

Les difficultés sont de retour, avec un fort vent de face le lendemain. Je peine à aligner la centaine de kilomètres qui me sépare d'un camp de surf qui accueille gracieusement les cyclos de passage. Le cadre est idyllique et la vue somptueuse. Un accueil compliqué due au manque de communication notable de mon hôte. Je suis dans son commerce et il ne prend pas le temps de m'expliquer ce qu'il m'offre, provocant un certain inconfort au point que j'hésite un moment à partir. Je fini par comprendre qu'il m'offre une chambre et le couvert, mais je n'en reste pas moins mal à l'aise.

Il me faut quitter la côte de nouveau pour grimper sur les hauteurs. Pas de détails dans le tracé de la route encore une fois et je dois poser le pied à terre régulièrement à cause de la pente qui avoisine les 20% régulièrement. La descente en est tout aussi effroyable. Je termine la journée au calme sous les cocotiers et sous quelques averses éparses.
J'atteins Krui en début d'après midi. Spot de surf réputé, malheureusement bien au dessus de mon niveau. Je compte profite cependant de l'auberge calme et reposante en compagnie de voyageurs venus surfer.
Il semblerait que je sois arrivé le bon jour puisque c'est soirée barbecue que tout le monde partage sur la terrasse bondée. L'ambiance est conviviale et festive. Croyant d'abord à un groupe qui se chamaille ou qui danse, je ne comprends pas tout de suite l'origine de la secousse qui fait trembler le sol et le mobilier. La terre tremble sourdement, depuis les entrailles de la terre, pendant plus de 20 secondes, mettant terme peu à peu à l'effervescence générale. La question qui me vient est naturellement le risque de tsunami, puisque l'auberge est situé en bord de mer, nous sommes au premières loges. Il faudra un moment au gérant, peu inquiet, pour finalement lâcher qu'une alerte est lancée et qu'il est nécessaire de nous diriger à l'aéroport situé sur les hauteurs. Chacun prend le strict nécessaire, passeport et téléphone, et nous quittons les lieux prestement. L'ensemble de la population ne semble pas très affolée cependant, pour sur secousse de 6,9 sur l'échelle de Richter. En effet l'alerte tombe rapidement après quelques heures à jouer aux cartes sur le tarmac. Après quelques recherches il s'avère qu'aucunes balises tsunami indonésiennes n'est en état de marche et que le système de signalisation est globalement inopérant, malgré les fonds levés suite au ravage du tsunami de 2004. Lorsque je repars et me retrouve à camper sur la plage je prends désormais soin de repérer la colline la plus proche.
Je dois traverser une double chaîne montagneuse pour atteindre le sud de l'île. Après le premier obstacle passé non sans mal, physiquement et mécaniquement. Une gène dans la transmission me fait penser que ma chaîne que je n'ai pas changé depuis mon départ commence à être fatigué. Mais je réalise en fin de journée que c'est en fait mon pédalier qui est complètement hors d'usage. Le bruit qui en émane fait grincer des dents. Je tente une réparation sommaire dans un atelier de moto, mais je devrais attendre d'être en ville le lendemain pour changer le pédalier. Je campe en retrait de la mer cette fois. J'ai établi mon campement près d'une rivière, lieu de bain général. Je me joins à la population pour la douche communes à même la rivière, ne passant naturellement pas inaperçu. Tout le monde jettent cependant son emballage de gel douche ou shampoing de dose à usage unique. Alors que je suis couché plus tard, quelques gamins se sont approchés et jettent quelques cailloux en ma direction. Au final c'est une partie du village qui fini par s'attrouper autours de ma tente, selfie en continue. On m'apporte même le dîner. Au réveil, J'observe les femmes dans la rivière qui font le lessive. Si la veille c'était uniquement les hommes. Puis rapidement je suis entouré d'une ribambelle de gamin sur le chemin de l'école qui assistent, fascinés, à mon petit déjeuner, commentant mes faits et geste dans l'hilarité générale.
Nouvelle longue ascension avant d'atteindre la ville de Bandar Lampung. Je reste chez Adi qui m'accueille dans sa famille. Sa sœur parle le français et compte terminer ses études en métropole. Nous célébrons ce week-end l'Aïd, jour de fête musulmane... et de sacrifice. J'assiste dans un premier temps aux prières de rue, sans mon hôte qui s'est allègrement détaché de la confession musulmane. Puis nous nous rendons dans une école soufie avant de partager un repas avec ses amis.
Je reprends la route pour l’extrême sud le l'île où je passe la nuit chez l'habitant de nouveau, chez Yéyé... qui vit lui aussi en bord de route. Mais la présence d'une autoroute non loin fait que le trafic reste modéré ce qui est très appréciable. Nous restons un moment en fin de journée assis sur sa terrasse, à regarder passer les voitures, activité nationale. L'un de nous brise parfois le silence pour évoquer une anecdote mais il est agréable de rester dans une sorte de contemplation silencieuse. Chez Adi, ma chambre était juste au dessus d'un carrefour en centre ville sans isolation sonore. Autant dire que mon séjour n'a pas été très reposant encore une fois. Je souffre de plus en plus du manque de silence. Même quand je campe, il y a au final toujours un fond sonore : des moteurs, des mosquée ou le bruit des vagues même si ce dernier reste plus agréable. Je sombre rapidement dans un sommeil de plomb dans la chambre silencieuse du fils aîné de mon hôte. Yéyé doit me réveiller au matin alors que l'adolescent dois récupérer ses affaires pour aller au lycée.
Une vingtaine de kilomètres me restent à parcourir pour atteindre l’embarcadère d'un ferry qui me mènera sur Java. Il m'aura fallu près de deux mois pour venir à bout de l'île de Sumatra. Un périple un peu plus long que je n'avais estimé mais qui m'a offert une belle diversité de paysages, de cultures, de rencontres et d'échanges.
